René Guénon le Christ et le christianisme

 

Dans son livre "René Guénon: Messager de la Tradition Primordiale et Témoin du Christ Universel", Jean Chopitel et Christiane Gobry nous rappellent la portée traditionnelle du christianisme dans ses débuts, le faisant dépositaire de la Tradition Primordiale si chère à René Guénon.
Voici un extrait de ce livre:

René Guénon, le Christ et le Christianisme

.... Ce qu'on appelle aujourd'hui religion chrétienne existait chez les anciens et n'a jamais cessé d'exister depuis l'origine du genre humain, jusqu'à ce que le Christ lui-même étant venu, l'on a commencé d'appeler chrétienne la vraie religion qui existait déjà auparavant. »
Saint Augustin, Confessions

Ce constat de saint Augustin se rapproche de celui qui ressort de l'œuvre de René Guénon, bien que ce dernier présente encore davantage l'universalité du Christianisme.
À l'entrée Christianisme de son dictionnaire, Jean-Marc Vivenza nous en expose remarquablement l'essentiel: Guénon a toujours affirmé le caractère traditionnel du Christianisme, regardant le Christ lui-même comme une représentation imminente de la Tradition. Se basant sur l'hommage rendu au Christ naissant par les Rois Mages (symbolisant les trois mondes, terrestre, intermédiaire et céleste), René Guénon en concluait, que cette reconnaissance par les représentants authentiques de la Tradition primordiale, était le gage de la parfaite orthodoxie du Christianisme à l'égard de celle-ci. C'est un fait que René Guénon a tou- jours porté un immense intérêt au Christianisme, la tradition de sa culture originelle et de l'Occident, et qu'il a toujours fait valoir son caractère éminemment traditionnel. Pour lui, en effet, le Christ est un représentant majeur de la Tradition primordiale; c'est le Sauveur, le Lion de Juda, la Pierre Angulaire, la Pierre Philosophale, et c'est même le Messie universel, qui est unique dans son principe et multiple dans ses manifestations. Dans son ouvrage Le Roi du Monde, il ajoute une note au chapitre sur l' Omphalos pour expliquer la signification de la tentation de chan- ger les pierres en pain, que les puissances infernales font subir au Christ dans le désert: étant donné que le Christ est le pain vivant descendu du Ciel, c'est ce pain qui, dans la Nouvelle Alliance, doit se substituer à la pierre comme temple de Dieu. Remarquons que les mots chair», « pain. et nourriture ont une même racine en hébreu (et en arabe également). Guénon reconnait très tot l'essence du Christianisme quand il identifie le Christ à la chair du Verbe manifesté, tel que saint Jean le présente dans le Prologue de son Évangile. À la suite des Rois Mages, notre auteur voit en Jésus-Christ le sacerdoce et la royauté suprêmes; il explique que Jésus est issu de la tribu royale de Juda et que, né également de la tribu sacerdo- tale de Lévi, il n'est cependant pas prêtre selon l'ordre d'Aaron, mais directement selon l'ordre de Melkitsedeq. Il s'appuie, d'ailleurs, sur les textes de saint Paul qui disent que le Christ est prêtre éternellement selon l'ordre de Melkitsedeq (Épitre de Paul aux Hébreux), pour insister sur le fait qu'il l'est par filiation spiri- tuelle. Saint Paul fait remarquer également que le Christ et Melkitsedeq sont liés par le même sacrifice du pain et du vin, qui les montre manifestement issus de la même origine. Certes, le Judaïsme et le Christianisme détiennent leur autorité du même principe suprême, mais le premier la possède par mandat tandis que le second la détient directement du Ciel ; c'est pour cette raison que le Christ vient non pour « abolir la loi, mais pour l'accomplir». René Guénon fait remarquer que Melkitsedeq est prêtre du Dieu-très-haut, El Elion, et que ce nom hébreu est l'équivalent numérique (197) d'Emmanuel. Le Christ, donc, est El Elion dans le monde céleste et Emmanuel (< Dieu avec nous » ou « Dieu en nous) dans le monde terrestre : il s'agit, en effet, de deux expressions différentes du même principe. On retrouve l'union de ces deux principes chez les Rois Mages: comme nous l'avons vu, Guénon considère que que la reconnaissance de Jésus-Christ par ces éminents messagers de la Tradition primordiale - rapportée par l'Évangile - est le gage le plus incontestable de son appartenance à la même lignée : de l'unique vraie religion de l'humanité tout entière . Et il donne à celle comprendre ainsi qu'il s'agit d'une des plus grandes preuves de la divinité du Christ, et à la fois de son appartenance au Sacerdoce et à la Royauté suprêmes, selon l'ordre de Melchissedec. Dans le même article, l'auteur éprouve la nécessité d'approfondir ces réalités invisibles et inexprimables; pour cela, il s'appuie sur les termes du Prologue de l'Évangile de Jean: toute autorité a sa source en lui parce qu'il est le Verbe Éternel par qui toutes choses ont été faites et que rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui, pour affirmer que le Christ, en tant que Fils de Dieu, est lui-même le principe transcendant des deux pouvoirs par la puissance de sa vie immortelle , et non uniquement sa représentation. Il voit aussi dans l'union du pouvoir sacerdotal (dans l'ordre divin) et du pouvoir royal (dans l'ordre humain), comme une préfiguration de celle des deux natures -humaine et divine - réalisée dans la personne du Christ. René Guénon regarde le Christ comme le Roi du Monde, c'est-à-dire comme le roi des trois mondes, le terrestre, le céleste et l'intermédiaire. Il le précise, plus particulièrement, dans Le Roi du Monde; par exemple, il y relève que la capacité que détient le Christ de maîtriser les éléments est symbolisée dans l'Évangile, par son pouvoir de marcher sur les eaux. Remarquons qu'il rejoint saint Bernard pour qui il avait une profonde estime - qui voyait dans l'hommage rendu à l'Enfant Dieu par les Rois Mages le plus grand miracle relaté dans le Nouveau Testament: Mais ce qui est bien autrement merveilleux, c'est Jésus connu des Mages. Qu'ils aient vu un Dieu en lui, c'est ce qu'indiquent l'adoration et l'offrande de l'encens. Ils le reconnaissent aussi pour Roi comme le montre l'or qu'ils lui présen- tent. Ils comprennent le grand mystère de piété caché dans ces choses, c'est pourquoi ils confessent sa mortalité en lui offrant de la myrrhe... Voyez, je vous prie, voyez comme la foi est clairvoyante, et quels yeux de lynx elle possède. Elle reconnaît le Fils de Dieu dans un nouveau-né qu'on allaite, et dans un supplicié pendu et mourant sur un gibet. En effet, le vo leur le reconnait sur la croix, et les Mages dans l'étable. Il est manifeste que bon nombre de chrétiens, dans le monde exotérique comme dans l'ésotérique virtuel, ne prennent pas du tout en compte cette reconnaissance céleste; ceux-ci, en effet, à l'opposé de Guénon, font très peu de cas de l'intervention des Rois Mages, quitte à imaginer qu'elle constitue dans l'Évangile une simple fioriture. Cette façon de réduire les Textes Saints pour raison personnelle, est du même ordre que la pratique du libre examen issue de la Réforme, que Guénon, bien entendu, condamne explicitement dans La Crise du Monde Moderne; il dénonce en effet cette libre interprétation des Textes, livrée en l'occurrence à la fantaisie de chacun, mème des ignorants et des incompétents et fondée uniquement sur l'exercice de la raison humaine, comme une usurpation de l'autorité légitime de la Tradition exotérique de l'Occident. Dans ses Aperçus sur l'Esotérisme Chrétien, il montre d'ailleurs que le Protestantisme est illogique et hétérodoxe, autrement dit infidèle à la tradition chrétienne apostolique. Remarquons qu'il convient de distinguer néanmoins le Lutheranisme, qui s'est constitué en réaction à des abus et exactions véritables, perpétrées par des membres du clergé catholique, et le Calvinisme qui est une hérésie à proprement parler; ce dernier, en effet, s'est autorisé à faire du Christianisme une simple morale sociale assujettie aux impératifs du monde moderne, si bien en que que le surnaturel en est complètement exclu et que l'expression métaphysique n'y a plus de sens. Cette mentalité protestante a contaminé une grande partie des catholiques d'aujourd'hui, et favorisé un mouvement pseudo-oecuménique qui est fallacieux et dangereux, puisqu'il se place au sein de l'idéologie maté rialiste et humaniste, et qu'il joue sur la religiosité superficielle et l'affectif des foules, au lieu de les exhorter à étudier et transmettre les principes immémoriaux qui régissent la vie spirituelle. Ainsi, la montée de la men- talité protestante a provoqué une déchristianisation du Christianisme originel, et b bien entendu de l'Église catholique, en supprimant les données fondamentales de la foi: la divinité du Christ, la virginité de Marie, la transmission apostolique, la vertu des sacrements, la présence réelle», et plus globalement une partie des éléments essentiels professés dans le Credo; et du même coup, se trouvent discrédités la dévotion à la Vierge, la vie contemplative et monastique, la suprématie et l'immutabilité des Textes Saints, l'enseignement des Pères de l'Église, etc.