Neurosémiotique et bouddhisme. Dialogue interculturel entre la science et la conscience
La neurosémiotique s’intéresse au(x) bouddhisme(s) dans le cadre d’un dialogue entre la science et la conscience. La neurosémiotique envisage un rapport fonctionnel entre la représentation qui découle du rapprochement Sa/Sé et l’émergence d’un état de conscience, de sorte que la manière de penser le réel détermine la façon de le vivre. Il en découle un paradoxe qui consiste à envisager la fiction comme précédant la réalité. Dès lors, la neurosémiotique propose d’expliquer l’émergence du sens à partir de l’élaboration de champs énergétiques formant une structure tensive articulant la mimesis à la semiosis à travers la diegesis. Le questionnement du rapport du sujet observant à l’objet observé intègre les données de la physique quantique afin d’expliciter le phénomène de participation au réel avec lequel le cerveau entre en connexion dans sa quête de compréhension. Cela conduit donc à s’interroger sur la nature même de la conscience qui s’auto-organise dans une coproduction conditionnée. Le dialogue interculturel qui s’établit à partir de résonances entre les investigations de la science et les pratiques du bouddhisme finit par devenir transculturel dans la mesure où la conscience de la science a son origine dans l’absence de ses assises, car l’univers évacue peu à peu le sujet et l’objet qui le forment dans le je(u) complexe des représentations en régime sémiotique.
Le quatorzième Dalaï-Lama accorde un grand intérêt aux sciences occidentales, et ce, non sans raison : le titre de bouddha (बुद्धा, éveillé) désigne une personne capable par sa sagesse transcendante (प्रज्ञा, gnose), sa perception des principes de conditionnalité, de dépendance et de réciprocité (प्रतीत्यसमुत्पाद) – car tous les phénomènes sont composés et interdépendants, que ce soient les objets physiques, les sensations, les perceptions, la pensée, la conscience –, ainsi que par l’absence de soi propre (अनात्मन्) et le vide (शून्यता) de toute chose, de réaliser l’éveil en atteignant le nirvāṇa (निर्वाण), selon le hīnayāna, ou transcender la dualité saṃsāra (संसार)/ nirvāṇa (निर्वाण), selon le hahāyāna. En effet, la question des états de la conscience occupe le coeur de l’activité et de la méditation bouddhiques. C’est pourquoi le Dalaï-Lama invite les chercheurs intéressés par la cognition à dialoguer avec lui. Le bouddhisme qu’il transmet et approfondit semble ouvrir des voies, peut-être aussi des impasses, à une compréhension plus précise des mécanismes de pensée, d’imagination, de croyance, de rêve et de sommeil qui relèvent de la semiosis, puisqu’ils élaborent la conscience : le signe et la signification qui lui sont liés nécessitent d’être reconnus comme tels par une objectivation.
Francisco Javier Varela a saisi cette ouverture pour amorcer une réflexion sur l’inscription corporelle de l’esprit à partir des traditions indiennes et bouddhistes. Depuis 1987, les rencontres « Mind and Life » se multiplient et les scientifiques sortent de leur réserve pour aller à la rencontre des sciences traditionnelles. Le philosophe Charles Taylor de l’Université McGill a été l’un des plus enthousiastes à ce propos. En 1988, l’homme d’affaires Adam Engle crée le Mind and Life Institute afin de poursuivre un dialogue déjà noué avec des philosophes et scientifiques [1]. Les résultats semblent abonder en direction de la neurophénoménologie et du structuralisme biogénétique, présentés dès 1974 par Charles D. Laughlin et Eugene d’Aquili.
La présente contribution propose une brève synthèse de ces échanges, une présentation des problématiques communes au(x) bouddhisme(s) et à l’étude de la cognition, et une explication sur la manière dont la neurophénoménologie s’articule à une neurosémiotique qui prend en compte tous les phénomènes de cognition nécessaires à l’élaboration du sens : de la mimesis à la semiosis.
La neurosémiotique qui s’en dégage envisage un rapport fonctionnel entre la représentation qui découle du rapprochement Sa/Sé et l’émergence d’un état de conscience. Autrement dit, la manière de penser le réel déterminerait la façon de le vivre. Cela entraîne le paradoxe qui consiste à penser la fiction comme précédant la réalité, et donc à envisager l’influence de la culture sur la nature sous la forme d’une contagion d’idées. Dès lors, il devient tentant d’expliquer les oeuvres d’art d’un point de vue physiologique avec la neuro-art-histoire (Onians, 2007).
Ces résultats dérivent des expériences auxquelles les moines bouddhistes acceptent de participer. Les méditations et les contemplations dans lesquelles ils se plongent permettent aux neurologues de déterminer des zones d’activité du cerveau en éveil, notamment la sécrétion par hypophyse (petites glandes cérébrales) d’endomorphines, provoquant alors des sensations de plaisir. Ces mêmes réactions électrochimiques se retrouvent chez certains grands lecteurs, sportifs et mélomanes. Une autre interprétation de ces observations conduit à repenser la pertinence de la distinction entre le rêve et la réalité : si la fiction peut provoquer des hallucinations qui sont vécues comme authentiques, de quelle manière l’état de veille ne pourrait-il pas être dépassé par un réveil lors d’un état supérieur de la conscience ?
Comme nous le voyons, la prise en compte des phénomènes mystiques par la science remet en question la dichotomie entre fiction et science et ouvre une brèche, certes dangereuse, mais séduisante en direction de la science-fiction. Ce dilemme ne s’offre qu’à l’esprit occidental qui se heurte à une configuration culturelle différente.
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https://www.erudit.org/fr/revues/pr/2011-v39-n2-pr5005031/1007166ar/
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