Illusionnons-nous...

 

Dans le bouddhisme, le concept du "moi" est souvent remis en question. La philosophie bouddhiste enseigne l'impermanence et l'absence d'un soi permanent. Selon cette perspective, l'attachement à l'idée d'un moi distinct peut être une source de souffrance. La méditation et la compréhension de l'anatta (non-soi) sont des pratiques clés pour transcender cette illusion du moi.

L'exercice qui suit, nous permet d'illustrer la notion de "non-soi", basique dans le bouddhisme. Il est intéréssant de remarquer, que la dernière phrase de l'exercice, nous permet de réintegrer notre identité: de encore pour la millième fois en un jour de rendre réelle une illusion; l'illusion du "moi" (cette fois-ci à haute voix).

 

 

Exercice:

S'appeler soi-même

Asseyez-vous par terre au milieu d'une pièce calme, de préférence peu meublée. Demeurez tout d'abord quelques instants attentif au silence, sachant que vous allez parler et entendre. En écoutant intensément les très légers bruits qui vous entourent, pensez que bientôt cette paix va cesser. Préparez-vous à l'irruption d'une parole. Prononcez alors à voix haute votre prénom. Articulez distinctement, et répétez, insistez. Comme si vous deviez héler, d'assez loin, une personne demeurant sourde à vos appels. Imaginez que vous interpellez quelqu'un qui vous connaît, mais ne vous aperçoit pas. De l'autre côté d'un champ. Ou bien d'une rive vers un bateau. Ou encore d'une maison à une autre. Au début, les quinze ou vingt premières fois, vous avez l'impression d'être simplement en train de parler dans le vide. Vous appelez quelqu'un d'absent, d'inaccessible, d'une manière absurde et ridicule. Vous avez beau allonger les voyelles, prononcer les syllabes sur des tons différents, vous n'arrivez pas à y croire. Continuez. La porte est bien fermée. Peu à peu, vous commencez à ressentir l'impression d'être appelé. De manière d'abord confuse, à peine perceptible. Hésitante, mal assurée. C'est là qu'il convient de s'installer, attentif à cet équilibre instable entre le dedans et le dehors. Insistez, répétez, appelez-vous encore quelques dizaines de fois, machinalement, automatiquement. C'est bien votre voix. C'est aussi celle de l'autre, là-bas. Vous venez juste de l'apercevoir. Votre voix n'est pas dédoublée. Et bien sûr vous non plus. Vous sentez toutefois que vous êtes double, scindé en quelque sorte au- dedans. C'est bien vous qui appelez, mais vous ne savez pas qui. C'est bien vous qui êtes appelé, mais vous ne savez pas d'où. Ou plutôt si, évidemment, vous savez bien que c'est vous dans les deux cas, et << vous », vous supposez que ça ne fait qu'un. D'ailleurs, vous le savez, et là-dessus tout le monde est d'accord. Mais non, justement, ce n'est pas ce que vous éprouvez à présent. Vous savez bien que << vous >> et << vous >> ne font qu'un, mais vous ne le ressentez plus de manière pleine, évidente. Celui qui appelle est le même, et n'est pas le même, que celui qui est appelé. L'expérience consiste à prolonger quelques instants ce jeu du dedans et du dehors, de l'appel et de l'écoute. Il faut éprouver, aussi loin que possible, ce qu'a d'insolite ce prénom que l'on connaît, mais que jamais on ne peut adresser à soi-même sans justement se sentir un autre. Seuls les autres, évidemment, vous nomment ainsi, et vous-même, en temps normal, ne vous appelez jamais. Continuez à vous héler, à intervalles réguliers, en criant presque certaines fois. Le but est de susciter ce léger malaise, pas forcément désagréable, qui accompagne un petit décollement de soi par rapport à soi. Se maintenir un moment dans cette situation de fin vertige.

Comment en sortir? De quelle manière colmater l'écart, recoller les bords? Dites simplement, d'une voix haute et forte, avec le plus grand naturel possible: << Oui ! J'arrive ! >>

 

Exercice tiré du livre: 101 Expériences De Philosophie Quotidienne

Droit Roger-Pol

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