Les maladies et leurs traitements dans la littérature
La littérature bouddhiste du canon pâli ne contient aucun texte proprement médical. Cependant, on trouve, éparpillées dans le canon, les mentions d'une cinquantaine de maladies. Certaines ne sont indiquées que par leurs noms, d'autres par leurs symptômes, d'autres par leurs traitements. Parfois, un traitement peut être recommandé, sans que la maladie visée ne soit clairement identifiée. Le texte du canon pali le plus intéressant de ce point de vue est le Mahavagga du Vinayapitaka, essentiellement son chapitre VI, « Sur les médicaments » (Bhesajjaka), et le début de son chapitre VIII, qui évoque la vie du chirurgien Jivaka. Ce ne sont pas ces passages qui citent le plus grand nombre de maladies (le chapitre VI en cite une vingtaine), mais ce sont dans ces textes qu'on trouve le plus de détails sur leurs symptômes et leur traitement.
Les affections citées dans le chapitre VI:
MV VI, 1: sāradikābādha (maladie 'ābādha' qui se manifeste en automne). Les symptômes sont décrits en détail : les moines vomissent leurs repas, deviennent maigres, leur peau est rugueuse, ils ont mauvaise mine, leur teint est jaune, leurs veines saillantes. Comme remède, le Bouddha autorise l'usage de cinq médicaments: le beurre clarifié (ghi), le beurre, l'huile, le miel et la mélasse.
MV VI, 9: thulla kacchabadha (pustules). Contre cette affection, dont souffre Velatthasisa, précepteur d'Ananda, le Bouddha autorise une poudre médicinale et pour sa préparation, le pilon et le mortier.
MV VI, 10 amănusikābādha (« maladie non-humaine >>). Le Bouddha autorise l'usage de viande crue et de sang de porc contre cette affection. Elle n'est répertoriée dans aucun texte médical sanskrit. Aucun symptôme n'en est décrit.
MV VI, 11: cakkhurogabadha (« maladie de l'œil »). Contre cette affection de l'œil mal définie, le Bouddha autorise l'usage de collyres (añjana) de différentes sortes. L'Uttaratantra de la Suśrutasamhita, attribué à Nagarjuna, étudie les maladies de l'œil en détail (SS VI, I-XIX). La prescription désordonnée des diverses sortes d'añjana dans le Mahāvagga semble empruntée à ce texte, plus méthodique et plus complet (SS VI, XVIII, 26-51).
MV VI, 13: sisäbhitapa (mal de tête). Pour soulager le moine Pilindavaccha de son mal de tête, le Bouddha autorise l'application d'huile sur son front, mais devant l'échec, il permet l'administration d'un remède par inhalation. La Suśrutasamhita connaît les deux types de traitement (SS VI, XXVI, 6-7 et SS VI, XXVI, 4-5) et les développe beaucoup plus.
MV VI, 14, 1: vātābādha (skr. vātavyadhi ou vataroga) (« maladie du vent >>). Ce terme générique désigne les maladies attribuées aux dérangements du vent, comme celle dont souffre le moine Pilindavaccha dans le Mahavagga. Le Bouddha autorise comme remède une décoction d'huile mélangée à une boisson forte, à utiliser avec modération.
MV VI, 14, 2 angaväta (rhumatismes). Contre les rhumatismes du moine Pilindavaccha, le Bouddha autorise comme traitement la sudation dans un bain chaud rempli d'herbes. Cette maladie (sous le nom de sarvangavata), de même que le traitement proposé sont déjà mentionnés par Caraka (CS VI, XXVIII, 25-26). MV VI, 14, 3: pabbavāta (skr. parvavāta) (<« affection du vent »>). C'est unea utre maladie << venteuse » qui affecte ici Pilindavaccha. Pour le guérir, le Bouddha autorise la saignée à l'aide d'une corne. Cette thérapeutique corresponde exactement au traitement de la maladie désignée sous le nom de vatarakta («< sang venteux ») dans la Carakasamhita (CS VI, XXIX, 36) et dont les symptômes font penser à une crise de goutte.
MV VI, 14, 4: pada-phalita (gerçure du pied). Le Bouddha autorise l'utilisation d'un onguent pour le pied de Pilindavaccha. Cette affection est identique au padadari, que l'on trouve chez Suśruta (SS II, XIII, 22-25).
MV VI, 14, 5: ganda (furoncle). Pour supprimer les furoncles d'un moine, le Bouddha autorise leur ouverture à l'aide d'un instrument tranchant. Ce qui montre sa connaissance des méthodes chirurgicales. Il autorise aussi une décoction d'herbes astringentes pour laver les plaies, une pommade à base de sésame, mais aussi des compresses et des bandages, ainsi que de la poudre de moutarde pour apaiser les démangeaisons. Il autorise la pratique de fumigation des plaies. Dans la mesure où la Suśrutasamhita s'intéresse particulièrement à la chirurgie, il n'est pas étonnant d'y trouver de nombreux détails sur les furoncles. Suśruta enseigne la même thérapeutique que le Bouddha (SS I, V, 10-12). Cette maladie est citée, avec quatre autres, dans un passage différent du Mahavagga (MV 1, 31, 88-89): en souffrir interdit l'entrée dans le Samgha, la communauté des moines.
MV VI, 14, 6: morsure de serpent. Contre les morsures de serpents, le Bouddha autorise des préparations à base de fiente, d'urine, de cendre et d'argile. Ce traitement est très intéressant, puisqu'il s'est trouvé des bouddhistes pour s'en offusquer, surtout de l'usage d'excréments et d'urines. Yi Jing n'arrive pas à croire que le Bouddha, tel qu'il apparaît dans le Mahavagga, ait pu prescrire de telles substances comme médicaments. Si le Bouddha les autorise cependant dans ce texte, c'est que l'usage en était répandu à son époque. La Carakasamhita recommande ainsi ce genre de produits dans de très nombreux cas (par exemple CS VI, IX, 75; VI, X, 41; VI, XIV, 41-51; VII, IV, 12).
MV VI, 14, 7: empoisonnement. Le Bouddha autorise la préparation d'unedécoction de fiente en guise d'émétique. Même remarque: le Bouddha se contente de valider un usage. MV VI, 14, 8 gharadinnakabadha (alcoolisme). Contre l'intoxication due à l'abus de boissons alcoolisées, le Bouddha autorise la préparation d'une décoction à base de terre labourée. Ce mal est connu des textes ayurvédiques sous le nom de madatyaya (par exemple CS I, V, 45).
MV VI, 14, 9: constipation. Le Bouddha autorise une décoction à base de cendres de riz brûlé. MV VI, 14, 10: pandu (« paleur morbide »). L'affection désignée sous ce nom a été tantôt identifiée à la jaunisse, tantôt à l'anémie. En fait, le terme a servi à désigner diverses affections aux symptômes voisins, que les médecins indiens de l'Antiquité ne sont pas parvenus à individualiser. On en trouve la mention chez Caraka (CS I, XVIII, 6). Le Bouddha autorise en la matière une décoction d'urine. Ce traitement ne semble pas emprunté aux traités ayurvédiques. MV VI, 14, 11: chavidoşabadha (urticaire). Le Bouddha autorise un onguent à base de soufre à appliquer sur tout le corps. Ce mal est équivalent au sitapidakā des textes ayurvédiques (CS II, I, 27). MV VI, 14, 12 doşabhisanna (déséquilibre ou hyperfluidité d'un dosa). Le Bouddha autorise divers remèdes, dont un purgatif, du bouillon de viande, etc. Ce passage représente un des multiples exemples de la connaissance de la théorie des tri-doșa dont fait preuve le Mahavagga.
MV VI, 16: udaravatābādha (« vent dans l'abdomen », il s'agit probablement de flatulences). Cette maladie est un type de vatabadha, dont on a vu que le moine Pilindavaccha avait souffert (MV VI, 14, 1). Ici, un autre moine atteint par la maladie du << vent dans l'abdomen » reçoit l'autorisation du Bouddha de consommer un gruau salé en guise de remède. Le Bouddha lui-même aurait souffert de ce trouble (MV VI, 17) et Ananda lui aurait préparé un gruau contenant «< trois (substances) piquantes >> (tekatu, skr. trikatu)-gingembre (sunthi), poivre long (pippali), poivre noir (marica) - que le Bouddha aurait refusé de consommer, pour des raisons éthiques.
MV VI, 20 kayadāhābādha (« sensation de brûlure sur le corps >>). Pour guérir le moine Sariputta de ce mal, le moine Moggallana lui apporte des tiges de lotus dont la consommation supprime la sensation de brûlure. MV VI, 22: bhagandala (fistule anale). Le chirurgien Akasagotta incise la fistule anale d'un moine, mais le Bouddha s'en offusque et interdit l'opération pour l'avenir.
Sylvain Mazars in Le bouddhisme et la médecine traditionnelle de l’Inde. (Extrait)
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